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Les Ateliers d'Hamdallaye Des films d'animation réalisés par des villageois

Un article d'Aline Moens, de l'Atelier Graphoui, studio d'animation belge qui a parcicipdivers projets socio-culturels en Afrique et en Bolivie.

Crédit: Atelier Graphoui.

Belgique. Partir. Décollage; l'avion s'arrache de terre. Je m'arrête au bout d'une grande inspiration, un étourdissement puis une sensation d'un tout. C'est ça partir. Naviguer sur une mer de nuages. La terre enneigée est un miroir brisé du ciel. Chaque brisure est une trace de l'homme. Puis il y a aller ailleurs. Dans un village, nommé Hamdallaye, dans une savane reculée de la Casamance au Sénégal.

Trois artistes de l'Atelier Graphoui, ainsi que six artistes belges, sont invités par l'association sénégalaise "Huit Facettes-Interaction," des artistes de Dakar, la capitale, et une organisation non-gouvernementale (ONG) belge "Vredeseilanden."

L'équipe de l'ONG sur place à Kolda est sénégalaise et travaille depuis de longues années avec les communautés villageoises de la region. Elle les aide à prendre en charge leur propre développement. Cette démarche participative trouve sa sève dans une belle relation qui n'exclut pas la culture des projets socio-économiques.

Entretien avec Seydou Wane

Seydou Wane, responsable de l'ONG Vredeseilanden à Kolda, raconte:

"Le projet culturel d'Hamdallaye est venu d'un besoin exprimé par la population. C'est devenu une tradition, chaque village exprime ce désir: `cette année nous organiserons des journées culturelles; nous parlerons de notre culture, de nos ancêtres, pour faire connaître notre village.'

"C'est un besoin humain d'être reconnu. Le village d'Hamdallaye a su qu'il y avait un projet artistique, que Vredeseilanden a soutenu, avec des artistes, et ils ont voulu les inviter dans leur village.

"La première réaction était: comment faire la jonction avec des artistes belges, des artistes sénégalais, que certains ont qualifié d'artistes d'élite...du milieu urbain, et les villageois?

"Mais il y avait des artistes sénégalais motivés, je pense à Fodé Camara et Kan Si, qui se sont vraiment accrochés à cette idée d'atelier artistique. Au fur et à mesure que l'idée s'est enrichie, c'est ainsi que vous êtes entrés dans le projet, Graphoui et les Rwandais, avec ce thème autour de la paix.

"Une fois que c'était parti, nous avions à Kolda beaucoup d'appréhension et de questions: la population dans tout ça, que va-t-elle retirer de ces ateliers?"

Crédit: Atelier Graphoui.

Premiers contacts

Nous avons donc été accueillis à Hamdallaye. Le jour de notre arrivée, les villageois posaient encore les toits sur les cases. Une dizaine de cases de terre et de paille, construites de leurs mains pour recevoir les dix artistes sénégalais et les dix artistes belges. C'est un investissement colossal pour un village de 200 habitants, un geste de création à la fois humble et princier, comme le sont ces villageois.

Nous sommes là, dans cette première nuit éclairée de la lune seule, bercés par des litanies de bienvenue adressées par les chefs et les anciens du village.

Nous sommes là pour renconter ces villageois et cette découverte mutuelle sera le tremplin de créations que nous voulons susciter et partager avec eux.

Dès le premier jour, des jeunes du village d'Hamdallaye prennent contact avec nous pour réaliser quelque chose. Nous nous installons dans une case au milieu du village, l'atelier de cinéma d'animation. Une initiation rapide et les jeunes se lancent dans un projet de film.

Le premier film

Le thème "le conflit et l'entente inter-ethnique" a été d'emblée abordé et partagé avec eux. Le Sénégal a une longue expérience de la cohabitation inter-ethnique, des coutumes de parenté entre ethnies et l'art de la parole en témoignent. Dans la rencontre avec les deux rwandais présents au village, les jeunes expriment le point de vue de cette expérience vécue dans la vie culturelle et la vision de la vie qu'ils en ont tirée.

C'est cela le sujet du film d'animation qu'ils vont réaliser. Ce film-courrier "Message à nos frères rwandais" est un proverbe wolof à envoyer au peuple rwandais.

Il n'y a pas de mésentente, Il n'y a que manque de concertation.

Imagé dans un décor fait de terre de termitière, des petites chaises se bagarrent mais finissent en concertation autour d'une table. [ndlr: la technique utilisée est celle de l'animation d'objets; les chaises sont fabriquées à partir d'élements naturels (terre et materiaux divers)] Ce petit film animé par eux image par image est accompagné d'un chant qui dit: "Ami du Rwanda, si je pouvais prendre un ticket pour te rejoindre et soulager ta peine, je viendrais tout de suite."

Leurs paroles sont emplies d'histoires et de contes. Nous sommes dans une culture où la parole a une place essentielle et où l'écoute laisse résonner la profondeur du sens de ces paroles. Voici le dialogue du film entre un jeune et un musicien rwandais dont le pays est en guerre:

Nous ici, dans notre atelier nous avons choisi un proverbe Ià envoyer au Rwandais, pour que la paix y revienne. Nous avons créé ce proverbe, que nous comptons exprimer par des chaises. Ces chaises représentent les personnages. Il y aura d'abord la mésentente. Pour nous il n'y a pas de mésentente, seulement un manque de concertation. Je prends l'exemple rwandais: si entre eux, ils n'évitaient pas les paroles, il n'y aurait pas de guerre.

En tant qu'un des rwandais qui est maintenant au Sénégal, je peux vous dire mon point de vue: la concertation, c'est bon et on a essayé chez nous. Une fois que vous êtes ensemble, autour de la même table, il ya ce qu'on dit, mais il y a réellement ce qu'on pense. Quand on ne dit pas la vérité, quand on ne dit pas réellement ce qu'on pense, là, la concertation échoue. Et voilà, une terrible guerre a repris, malgré les négociations. Et c'est ce qui est arrivé aux Rwandais.

Le jeune villageois: Ce que je peux ajouter à propos de la parole c'est que si on se concerte, il faut au moins dire la réalité. Que chacun respecte sa parole, et sente au fond de lui-même la réalité de ce qu'il dit. Comme le dit Seydou Wane:

"Les choses sont allées très vite. Le premier jour quand on a débarqué le matériel, les femmes cherchaient le téléviseur. Elles sont parties vers le frigo pour dire `c'est ça.' Et une semaine après on trouvait les enfants et les femmes en train de monter un film. Ca c'est extraordinaire comme mutation, entre decouvrir cet appareil et être déjà en train de réaliser, c'est un bond extraordinaire!"

Crédit: Atelier Graphoui.

Une réalisation communicative

Quelques femmes aussi ont réalisé un film d'animation. La vie des femmes du villages est tissée sans cesse par le travail quotidien: elles puisent l'eau, elles cultivent, cuisinent, nourissent et éduquent les enfants. Certaines femmes du village et de villages voisins participent aux ateliers artisanaux dans le villages d'artistes. Je suis la seule femme blanche du village. Elles ont ri la première fois que je suis venue au puits, ces femmes qui puisent l'eau du ventre de la terre. L'eau, elles nous l'offrent, comme l'accueil dans leur village.

Six d'entre elles s'aventurent trois après-midi, dans l'atelier film d'animation. Le film, l'image vidéo, la télé leur sont inconnus. Je ne parle pas leur langue mais le jeu suffit comme explication. Tout simplement, une femme a mis sa main sous la caméra et elle est apparue à l'écran. Je montre comment on la filme et c'est parti les mains se succèdent parmi elles, une blanche. La rencontre intense, la communication et le plaisir sont bien présent. Des spots dans la case étroite, nos ombres peuplent les murs. Nous filmons nos ombres puis les dessinons en filmant image par image la fresque qui s'esquisse et se colore.

Ce sont des femmes qui se réunissent, disent-elles, pour créer un projet. Elles propose un chant, c'est l'appel: "Mets ta ceinture!" C'est ce qu'elles disent pour se préparer à faire un travail, elles rassemblent le vêtement ample, elles rassemblent les forces.

Des femmes réunies pour le développement de leur village avec cette force qui leur permet de se lancer directement dans l'expérimentation d'un moyen d'expression nouveau, le cinéma d'animation.

L'aboutissement

Seydou Wane disait ceci pour conclure:

"Je n'ai pas arrêté de me poser des questions durant tout ces ateliers et c'est vers la fin, pendant les journées culturelles que j'ai entendu les réactions de la population.

"Les gens d'Hamdallaye éprouvent une certaine fierté que ces artistes qui ont une consécration nationale et internationale acceptent de venir partager leur quotidien. Mais la même fierté je l'ai vue aussi du côté de l'artiste, très fier d'être revenu à ses racines. C'est des citadins, qui tous viennent de la campagne par leurs grands-parents. C'est la fierté d'être revenus à leurs racines et d'avoir été acceptés. Des deux côtés, chacun est fier de l'autre.

"C'est une sorte de réconciliation entre une élite et sa base. Cela a des retombées: chacun rêve d'aller vers l'autre. Maintenant pour les gens de Hamdallaye, le village est presque un monument. Et à Dakar tous ces artistes qui veulent revenir à Hamdallaye... On vient de renouer là, quelque chose de très profond.

"L'animateur Bari me disait que Hamdallaye ne sera plus comme avant. Les villageois lui ont dit: `Bari, vendredi nous allons prier spécialement pour toi, pour ce que tu as fait pour le village.' Et il disait: `Moi, ce que je trouve extraordinaire c'est que j'ai soutenu ici des projets de construction de dispensaires et les gens n'ont jamais été aussi satisfaits. Et ça c'est un projet culturel.'

"C'est un besoin. J'utilise le terme en wolof car j'ai des difficulté pour l'exprimer en français; si je traduis littéralement, on dit: c'est important qu'une personne `on la sente;' 'tu sens que j'existe.' Sentir l'existence de quelqu'un, dans la philosophie wolof et pulaar, c'est ce qu'on peut donner de plus important à quelqu'un. C'est aller chez lui, manger et boire chez lui, c'est vivre avec lui. Ils disent que ça n'a pas de prix.

"Ils ont senti les médias braqués sur leur petit village. Cela donne une fierté qui peut faire que les projets socio-économiques risquent d'aller très vite si on les lance maintenant. C'est des gens qui sont gonflés à bloc. Et qui ont une ouverture."

Aline Moens est en charge de la réalisation et responsable des ateliers de création de Graphoui.