ANIMATION WORLD MAGAZINE - ISSUE 5.04 - JULY 2000

L'histoire d'Annecy: 40 ans de célébration de l'art de l'animation

par Annick Teninge

Affiche du premier festival. Crédit photo: Festival d'Annecy.
Affiche du festival d'Annecy 2000. Crédit photo: Festival d'Annecy.

Le festival d'Annecy, le plus ancien et sans doute le plus prestigieux de tous les festivals d'animation, célèbre cette année son 40ème anniversaire. Le festival international du film d'animation a lieu tous les ans à Annecy, France. Un événement majeur -- en 1999 le festival a reçu 995 films pour la sélection officielle et attiré 5.000 professionnels venant de 55 pays -- Annecy reste la manifestation phare dans l'industrie du cinéma d'animation. Voici une évocation de l'origine du festival et son évolution au cours de quatre décades tumultueuses.

La Rencontre d'Annecy et de l'Animation
Tout a commencé à la fin des années 1950 avec l'organisation à Annecy d'une Semaine du Cinéma, à l'initiative du Centre National de la Cinématographie (CNC). La manifestation permit à deux groupes de se rencontrer: L'Association pour la Diffusion du Cinéma, dirigée par Pierre Barbin, et le Ciné-Club d'Annecy. Fondé en 1945 (premier Ciné-Club créé en France), le Ciné-Club d'Annecy était alors l'un des plus importants Ciné-Clubs, avec plus d'un millier de membres. Il était dirigé par Henri Moret, commis d'architecte, personnage haut en couleur qui était aussi un vrai passionné de cinéma -- refoulé à la soirée d'ouverture du festival de Cannes parce qu'il ne portait pas de smoking (alors qu'il était membre du jury), il s'était fait servir du champagne sur les marches du palais du festival!

A l'issue de cette Semaine du Cinéma à Annecy, les deux organisations décidèrent de présenter ensemble un programme de films d'animation au festival de Cannes, avec la collaboration d'André Martin (qui oeuvra pour le développement des nouvelles images en France) et le soutien du Forum des Arts Graphiques de Monte Carlo. Une centaine de films du monde entier furent présentés à ces premières Journées Internationales du Cinéma d'Animation (JICA) en 1956, suscitant un intérêt considérable de la part des festivaliers aussi bien que des professionnels de l'animation. Les secondes JICA eurent lieu en 1958, avec cette fois la participation d'artistes internationaux tels que Jiri Trnka, Norman McLaren, Alexandre Alexeieff et John Hubley, pour ne citer qu'eux. Mais à Cannes l'animation n'avait pas la vedette, et les organisateurs des JICA ne se sentaient pas très à l'aise dans l'univers pailleté de la Croisette. Ils proposèrent à la Ville d'Annecy de transférer leurs activités dans la cité lacustre à l'occasion de la célébration du centenaire de l'annexion de la Savoie, à laquelle le Général de Gaulle devait assister. C'est ainsi que le premier festival international du cinéma d'animation naquit à Annecy en 1960.

C'est aussi pendant ces Journées à Cannes que surgit l'idée de créer une association consacrée au film d'animation, avec pour but de renforcer la présence de l'animation dans le monde du cinéma et de donner aux animateurs un outil de représentation. L'idée a naturellement été renforcée par l'annonce de la création d'un festival du film d'animation. L'ASIFA (Association Internationale du Film d'Animation) a été officiellement créée en juin 1961. Son premier président fut Norman McLaren, suivi de John Hubley. Nicole Salomon, fondatrice de l'Atelier d'Animation d'Annecy (AAA), joua un rôle essentiel dans la création de l'ASIFA. Un des pivots de l'association, elle devint naturellement impliquée dans l'organisation du tout nouveau festival d'Annecy.

Avec trois langues officielles, le francais, l'anglais et le russe, l'ASIFA a aujourd'hui des branches dans 34 pays. La structure de l'association est notable. Comme le souligne son ancien président Raoul Servais, beaucoup d'associations internationales démarrent en tant qu'organisation locale, puis grandissent à un niveau national et international. L'ASIFA a été créée sans ces étapes intermédiaires. Elle a démarré en France, mais dès le début, des artistes du monde entier ont été impliqués dans cette nouvelle aventure. L'ASIFA n'était pas une sorte de société académique, mais plutôt un groupe de réalisateurs passionnés se réunissant pour partager leurs expériences, échanger des informations et essayer de trouver "la formule" qui leur permettrait de promouvoir le cinéma d'animation à travers le monde.

La Scène Internationale
L'ASIFA a naturellement participé à la construction du festival d'Annecy et, à travers un système de patronage, a développé un règlement définissant comment un festival international digne de ce nom devait traiter les réalisateurs. L'ASIFA s'est battue pour une représentation apolitique des films dans les festivals (pas de programmes nationaux), position très courageuse dans le contexte de guerre froide qui régnait à l'époque. L'ASIFA partageait également la volonté d'Annecy de faciliter les relations Est-Ouest et un accord commun assurait la permanence d'un festival international entre Est et Ouest: une année à Annecy, et la suivante à Mamaia (mer noire, Roumanie). Au début, Annecy eut lieu les années paires: 1960, 1962, puis à partir de 1963 les années impaires. Il n'y eut pas de festival en 1968, année d'agitation sociale en France. Mamaia, l'équivalent d'Annecy, n'eut lieu que trois fois: en 1966, 68 et 70.

Durant les premières décades d'Annecy un certain nombre de festivals émergèrent. Le festival non compétitif de Cambridge démarra en 1968. Quand Mamaia cessa d'exister, Zagreb (Ex Yougoslavie) prit la relève. Malgré la guerre, Zagreb n'a pas cessé d'organiser chaque année paire depuis 1972 son festival biennal. Aujourd'hui, Zagreb reste l'alternative d'Annecy pour les films d'auteurs. Ottawa, le seul festival nord-américain encore existant débuta en 1976. Varna, festival également situé au bord de la mer noire qui démarra en 1979, n'a plus lieu. Les principaux autres festivals d'animation sont: Cinanima (Portugal), annuel, fondé en 1976; Stuttgart (Allemagne), biennal, 1982, et Hiroshima (Japon), biennal, 1984. Le festival de Krok, qui a lieu sur un bateau en Russie, apparut dans les années 1990.

La Magie des Débuts
La première édition d'Annecy eut lieu du 7 au 12 juin 1960. Sous le patronage d'Alexandre Alexeieff, Max Fleischer, Paul Grimault, Ivan Ivanov-Vano et Jiri Trnka, le festival accueillit les représentants de pas moins de 20 pays, et la liste était plutôt impressionnante pour une première: Bruno Bozetto, George Dunning, John Halas, John Hubley, Grant Munro, Ernest Pintoff, Bretislav Pojar, Dusan Vukovic, Karel Zeman, et bien d'autres.

En forgeant la communauté internationale de l'animation, l'ASIFA a fortement contribué au developpement du festival d'Annecy, qui devint rapidement le rendez-vous officiel de l'animation. Les festivaliers des débuts s'accordent à dire qu'Annecy était un endroit formidable pour voir des films et, parfois, rencontrer les grands maîtres. La diversité des techniques et des styles était également un révélateur, et le festival représentait l'occasion unique de partager leurs expériences avec d'autres réalisateurs. Pour chaque artiste, Annecy était un baromètre.

Provincial, autodidacte, ignorant ce qui se faisait ailleurs, le réalisateur belge Raoul Servais travaillait depuis plusieurs années à la réalisation de films d'auteurs quand il lut par hasard dans le journal qu'une association de cinéastes d'animation venait d'être fondée à Cannes. Il proposa aussitôt sa candidature. Quand il reçut sa carte de membre numéro 11.001, il se demanda s'il y avait déjà 11.000 membres inscrits. Il apprit plus tard qu'il était le premier membre belge de l'ASIFA! Raoul apprit par l'ASIFA qu'un festival exclusivement consacré au cinéma d'animation se déroulait à Annecy. Il assista à la première édition en touriste, n'ayant pas de film en compétition. Il se souvient: "Je n'étais pas admis dans le sillage des "grands" de l'époque. Mais quelle joie de pouvoir admirer tant de bons films d'auteurs et d'apercevoir, au pied du théâtre-cinéma, Norman McLaren, entouré de Paul Grimault, John Halas, Jiri Trnka et quelques autres vedettes. Je sentais que je n'allais plus être voué à la solitude."

Nag Ansorge, réalisateur suisse, se souvient de la première édition: "En 1960, nous ne connaissions que les films de Walt Disney -- un hasard nous avait fait découvrir Jiri Trnka. A l'annonce des premières Journées Internationales du Cinéma d'Animation à Annecy, nous nous sommes empressés, Gisèle [sa femme] et moi de nous y rendre. Ce fut la rencontre merveilleuse et inoubliable avec les plus grands animateurs du monde, dont nous découvrîmes les oeuvres avec émotion et enthousiasme. "Le Pont du Diable," un de nos premiers films, était en compétition. Présenté le 11 juin à 17 heures, date fatidique, le film fut accueilli par un concert de sifflets, de rires et de chahut, provoqué par sa naïveté et le ton du commentaire, dit par une voix éraillée et pubère. Ce baptême rafraîchissant nous fit ranger ce film au fond d'une armoire, où il repose encore. C'est grâce à ces évènements que nous devons notre immuable motivation pour le cinéma d'animation."

 

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