Animation World Magazine, Issue 3.1, April 1998


La Coca animée: comprendre la petite feuille

par Christian Coppin

Tout ce qui est nôtre est sacré,
La coca le confirme bien,
Dans ses feuilles elle dit toute la vérité.
Ne piétine plus ma coca.
Hier, ils ont piétiné ma maison,
Ils ont enlevé les richesses,
Et maintenant, ils veulent en finir avec ma coca.

(La métamorphose de la petite feuille Graphoui)

Janvier 1992
D
u Sud au Nord, des enfants parlent de leur quotidien à travers l'histoire d'une même petite feuille: la COCA. Ils racontent en dessin animé que "la coca est bonne, la cocaïne est mauvaise." Ces jeunes qui content la "hojita" entre la lune et le soleil sont des enfants de paysans ou de mineurs boliviens qui, par manque de ressources, se sont déplacés des zones rudes vers El Alto (vaste citée improvisée aux abords de La Paz, la capitale de la Bolivie), ou à Cochabamba, ou du côté des Yungas dans la comunidad de Machacamarca.

A quelques milliers de bornes de la petite feuille, à Paris (la Goutte d'Or), à Bruxelles (la Ruelle), entre terrains vagues, parkings, crayons de couleur, prise de son, scénario, photographies et prise de vue 16mm, d'autres enfants font signe aux films d'animation de nos petits amis boliviens.

Entre eux, réalisé par eux, entendu par eux, par une méthodologie appropriée, il a existé, de manière participative et interactive, un collectif d'échange de regards de réalisation de films qui interpelle créativement la thématique du sujet.

La beauté de la démarche repose sur l'imaginaire et le vécu des enfants qui en savent peut-être plus que Blanche Neige...

La production et les réalisations cinématographiques ont investi toutes les complicités du partenariat local concerné.

Le projet a animé des ateliers de cinéma d'animation avec des enfants, des adolescents et des adultes impliqués au Nord et au Sud dans des contextes liés à la consommation de drogue et/ou à la production de "plantes à drogue."

Il s'est s'agit, dans un premier temps, de recueillir des paroles, des images et des regards de populations qui sont confrontées au Nord et au Sud à la problématique de la drogue. La mise en langage audiovisuel a été faite par la réalisation de dessins animés (au sens large) par les personnes concernées (enfants, jeunes et adultes) suivant une méthode expérimentée depuis une dizaine d'années par l'atelier cinématographique GRAPHOUI. (ndlr: la technique utilisée est celle du dessin animé -support papier et cello- filmé en 16mm et developpé sur place). Celle-ci a l'avantage de pouvoir s'adapter aux différences culturelles et aux ressources locales rencontrées.

Simultanément, le projet a proposé de réaliser, en collaboration avec ces populations, un documentaire vidéo sur la démarche des différents ateliers et les environnements sociaux, économiques et culturels auxquels renvoient les films d'animation qui y seront réalisés.

Les productions visuelles et sonores des différents ateliers d'initiation et de réalisation cinématographique ont progressivement été échangées entre elles. Leur interaction a abouti au montage d'un film-synthèse susceptible de faire passer à l'écran une parole concertée entre le Nord et le Sud sur une problématique "d'inter-dépendance."

Les objectifs pédagogiques
Le projet repose sur le rapprochement qui s'est amorcé durant la Campagne Européenne d'Information sur la Drogue entre des organisations non gouvernementales européennes et du Sud préoccupées de "drogue/développement," et des organisations de prévention ou d'action par rapport à la toxicomanie. La proposition de travail se fonde sur l'intérêt partagé par ces différentes associations à mener ensemble sur un même thème une action à la fois en termes de sensibilisation aux problèmes de mal-développement au Sud et en termes d'éducation à la santé et plus particulièrement de prévention à la toxicomanie.

En termes d'éducation au développement
Le contenu du projet propose un approche vivante des problèmes de développement en Bolivie par le biais d'une composante (la production de coca) qui y joue un rôle social, politique et culturel déterminant. Cet objectif de sensibilisation sur les difficultés rencontrées par un pays du Sud dans son développement est par ailleurs élargi dans une perspective d'ensemble grâce à la dynamique d'échange Europe / Amérique du Sud du projet. La proposition d'élaborer une parole collective, ouverte et partagée entre la réalité des producteurs dans le tiers monde et celle des personnes préoccupées ou concernées par la toxicomanie en Europe, vise à révéler plus concrètement les relations de dépendances réciproques qui peuvent s'établir entre les problèmes des pays du Sud et ceux des pays du Nord.

En termes d'éducation à la santé
Cette prise en compte globale ouverte à la géopolitique permet de même d'élargir le cadre de réflexion sur un sujet de santé publique qui devient de plus en plus préoccupant mais qui reste très difficile à traiter en termes préventifs, notamment auprès des jeunes: l'augmentation de la toxicomanie aussi bien en Europe que dans les pays défavorisés.

Au niveau social
Le projet s'est attaché à rencontrer plus particulièrement des contextes de vie défavorisée où vivent des enfants de migrants au Nord comme au Sud: enfants de mineurs et d'agriculteurs boliviens acculés par manque de ressources ou de travail à migrer vers la ville et le narco-trafic; groupes de jeunes de la deuxième génération d'immigration en mal de vivre dans les villes europénnes. A l'entour du questionnement sur la thématique "drogue" - mais à l'encontre de l'amalgame trop vite énoncé entre drogue et immigration - le projet a permis à ces jeunes d'exprimer les nombreux problèmes rencontrés dans leur devenir personnel et collectif (ambivalence culturelle, déstructuration familiale, exclusion sociale) et de révéler les nombreuses activités qu'ils organisent pour accéder à une meilleure inclusion sociale tout en affirmant leur identité.

Dans ce questionnement commun (développement, santé, migration), l'action éducative du film proposera surtout d'informer sur les tentatives de réponses et de solutions telles qu'elles sont organisées localement par les populations et les jeunes concernés.

Le déroulement de l'action
Concrètement, le projet est programmé entre juillet 1991 et juin 1992 sur l'animation conjointe de trois ateliers en Bolivie (La paz-El Alto, Yungas et Cochabamba) et de trois ateliers en Europe (France, Belgique et Espagne).

Le principe de travail de chacun d'eux est que des initiatives de prises en charge collectives des nombreux problèmes liés à la consommation de drogues et/ou à la production de "plantes à drogue" soient révélées par les acteurs eux-mêmes dans leur vécu quotidien et leur spécificité culturelle, sociale et économique.

A cet effet, le travail audio-visuel (films d'animation et documentaire) a été réalisé dans le cadre de chaque atelier avec la participation active des populations concernées. Il est étroitement concerté dans sa démarche comme dans son contenu par celles-ci et les organisations ou associations qui accompagnent leurs actions.

Chaque atelier est ainsi d'abord un support au service de la communauté, du village ou du quartier concernés pour valoriser la richesse de son expérience et de son auto-organisation. Les images produites et les paroles enregistrées se sont attachées à restituer un regard positif sur les collectivités concernées ou exposées aux problèmes de la drogue, et ce à contre-courant de l'image négative et trop souvent réductrice projetée de l'extérieur par les médias. Par le programme de formation et de réalisation proposé, le film (dans son ensemble et pour chaque atelier) ne s'est pas polarisé directement sur la drogue, la toxicomanie, la production illégale ou le narco-trafic. Il se situe à l'autre face de ce qui est habituellement montré sur ce sujet sous forme de scoop ou de focalisation traumatisante (la "guerre à la drogue," "la seringue du junkie"...). Il se donne l'intention de se concentrer plus directement sur l'histoire de la mobilisation et de l'organisation de la population conditionnée par ces problèmes.

Deuxièmement, par l'idée d'animer un réseau d'échange et de communication entre les productions (dessin, photographie, film d'animation, vidéographie, témoignage...) de ces six ateliers, le projet s'est proposé de faire résonner les différentes expériences menées au Nord et au Sud dans une dynamique inter-active pour permettre des apprentissages réciproques entre le savoir-faire des différentes populations.

Enfin, par la qualité professionnelle qui a été accordée à l'ensemble des réalisations audio-visuelles, le projet a visé à diffuser largement son action éducative par l'intermédiaire des médias et des campagne d'animation sur le développement ou d'éducation à la santé. Le film-synthèse réalisé sur base d'un montage des matériaux sonores et visuels des six ateliers, a valorisé l'expérience des populations impliquées et a fait ressortir la nécessité d'une prise de conscience globale de la problématique "Drogue."

Dans le même ordre d'idées, le film se donne pour objectif de renforcer auprès de l'opinion publique et des décideurs politiques l'importance de développer des approches sociales aux deux extrémités (l'offre et la demande) de cet épi-phénomène et d'appuyer de part et d'autre des prises en charge communautaires.

La méthode proposée (parole d'enfants, interaction culturelle, dessins d'animation et documentaire) permet de s'adresser au public des jeunes et des adultes confondus. Le produit final, un film-synthèse des six ateliers Nord/Sud, informe le grand public sur un thème délicat et de première importance dans une forme de langage et une qualité de communication qui, nous l'espérons, l'interpelleront.

Le projet a reçu l'appui de la Commission des Communautés Européennes en qualité de Projet d'Education au Développement (CCE, Direction Générale du Développement, DG VIII Service des ONG). Il s'inscrit potentiellement dans d'autres programmes complémentaires de financement comme "rojet cinématographique," comme "projet d'éducation à la santé" et comme "projet d'aide à l'intégration des jeunes immigrés."

Christian Coppin est en charge de la réalisation, de la cellule son et de la technique & formation audio pour l'Atelier Graphoui.

Note: Les lecteurs peuvent contacter les collaborateurs d'Animation World Magazine en envoyant un e-mail à
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Atelier Graphoui, porte-parole
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