Animation World Magazine, Issue 1.12, March 1997


16e Festival du Dessin animé de Bruxelles

par André Joassin

Brussels logo by Johan DeMoorLogo du festival par Johan DeMoor

La seizième édition du Festival du Dessin animé de Bruxelles, organisée par Folioscope se tenait du 4 au 16 février, période de congé scolaire du Mardi Gras.

Mis à part une rétrospective sur les pionniers du genre au Musée du Cinéma, la manifestation belge était circonscrite cette année dans une unique salle (celle du Passage 44). L'organisateur en effet, n'était pas parvenu à reconduire un accord satisfaisant avec le "Botanique" (centre culturel pourtant subsidié par le secteur public) qui, lors des éditions précédentes accueillait les programmes les plus spécialisés.

Les festivaliers n'ont cependant pas pâti de cette restriction car l'équipe de Philippe Moins et Doris Cleven avait adapté la grille horaire de façon à préserver la consistance et la diversité qui ont fait la réputation de la manifestation. Le public ne s'y est d'ailleurs pas trompé en garnissant une fois encore généreusement la salle lors des séances de soirée et d'après-midi (celles-ci étant plus particulièrement orientées vers le jeune public qui y trouve toujours une ambiance festive grâce à la présence de troupes théâtrales, de fanfares, de clowns et grâce aux décrochages en direct d'émissions pour enfants de la télévision belge).

Les programmes pour jeunes côtoyaient donc ceux adressés au public averti, et les courts et longs métrages, films d'auteur, "making of" et séries trouvaient leur place à côté de conférences données par des représentants de plusieurs studios d'animation (Disney, Clayart, Acme, Hibbert Ralph, Ex-Machina) de sociétés productrices de jeux vidéos (Ubisoft) ou d'effets spéciaux (Industrial Light and Magic, Softimage, Medialab, Mc Guff Ligne)...

A Close Shave by Nick ParkA Close Shave by Nick Park

Les longs métrages
Contrairement à d'autres manifestations internationales qui préfèrent prendre en compte les seuls films d'animation au sens strict, le Festival de Bruxelles se veut ouvert à toutes les acceptions du genre, fussent-elles secondaires, y compris par exemple les films "live" où l'infographie intervient simplement dans la réalisation des effets spéciaux. Cela explique la présence parmi les avant-premières belges de Star Trek: First Contact de Jonathan Frakes, dont la conception visuelle apparaît plus aboutie que son scénario quelque peu dispersé.

Au menu également Institute Benjamenta, long métrage en prises de vue réelles, qui permettait d'approfondir la connaissance de l'univers de Stephen et Timothy Quay sur lesquels le festival avait attiré l'attention les années précédentes. Les frères britanniques signent là une oeuvre ardue, insolite mais fascinante comme l'étaient les premiers David Lynch, sur les interactions humaines, les hiérarchies et les mystères kafkaïens d'un pensionnat pour le moins bizarre.

Plus généralement, l'un des caractères marquants de cette cuvée 1997, résidait dans son importante proportion de longs métrages, calibre "en principe" plus propice à la diffusion en salle. Mais à en juger par les titres (avant-premières et reprises confondues) de la sélection bénéficiant d'un diffuseur belge, le marché reste déterminé par le préjugé tenace qui tend à réduire l'animation au divertissement pour enfants.

Citons Pinocchio, version doucement psychanalytique du conte de Collodi, mis en image par Steve Barron et qui bénéficie d'une remarquable intégration de la marionnette dans un univers d'acteurs. Par contre, l'animation de certaines figurines secondaire semble parfois plus rudimentaire.

Faut-il encore présenter Space Jam qui catapulte - au sens propre - la vedette de la NBA Michael Jordan dans l'univers des toons de la Warner ? Là encore, l'indéniable accomplissement technique sert un script d'une profondeur thématique toute relative.

Parmi les productions bénéficiant d'une diffusion commerciale assez large, on peut encore épingler La freccia azzura de l'italien Enzo d'Alò, joli conte pour enfants au style graphique limpide mais qui pâtit de sa longueur excessive.

Contrairement à ceux déjà cités, bien d'autres longs métrages n'avaient donc trouvé de diffuseur belge. Leur présentation au festival constituait donc pour le public bruxellois une occasion rare de les (re)découvrir. C'est le cas du poignant Tombeau des lucioles de Isao Takahata que ses aspects visuels et son sujet - les enfants et la guerre - distinguent du tout-venant du manga.

Parmi les longs métrages plus spécifiquement destinés aux adultes notons Werner mords la poussière, nouveau chapitre des aventures du personnage de BD très populaire en Allemagne et aussi la singulière expérience autobiographique du tchèque d'Amérique Paul Fierlinger: Drawn From Memory. L'auteur raconte son enfance, sa jeunesse, son départ d'Europe au début de la seconde guerre mondiale, son retour à Prague où son père devint un dignitaire du parti communiste et ses tentatives pour fuir ce régime. Le dessin animé pourrait sembler peu aproprié à un tel sujet. Mais comme le titre le suggère, dans un style oscillant entre impressionnisme et caricature légère, l'auteur profite des possibilités graphiques pour présenter les choses telles que sa mémoire les a retenues et non telles qu'elles furent objectivement.

Yankale by Gil AlkabetzYankale by Gil Alkabetz

Les courts
Ron Diamond, producteur de Drawn From Memory, était également venu au festival pour représenter Acme Filmworks, unité de production à laquelle une rétrospective était consacrée. L'occasion de mesurer à quel point un spot publicitaire, une campagne d'information ou de prévention médicale, un générique . . . peut manifester le style caractéristique de son auteur tout autant qu'une création libre. Et pour cause : Acme fait appel à des talents de la trempe de Bill Plympton, Paul Driessen, Richard Goleszowski, Garry Bardine ou encore Raimund Krumme auquel le festival rendait un autre hommage particulier.

Chez ce créateur allemand, c'est l'image dessinée qui semble induire le scénario et non le contraire. Le comportement et les embarras de ses personnages sont en effet conditionnés par le caractéristiques graphiques, géométriques, les perspectives et les illusions visuelles de son univers dépouillé et distancié.

Comme on peut en juger, le court métrage n'était pas en reste avec ces rétrospectives et six programmes consacrés à des films d'auteur récents. Les festivaliers ont notamment pu découvrir Le Lion à barbe blanche conçu par Andrei Khrajnovski sur un scénario de Tonino Guerra, célèbre collaborateur de Francesco Rosi, Antonioni, Fellini, des frères Taviani, Théo Angelopoulos et Andrei Tarkovski, entre autres. La solennité de cette allégorie métaphysique sur la condition humaine donne au film une tonalité grave et austère, mais la majesté esthétique de l'ensemble où plusieurs techniques se fondent en un tout homogène, ne laisse pas indifférent.

Autres réalisations remarquées: L'histoire du chat et la lune, caressant poème en noir et blanc du portugais Pedro Serrazina, le savoureusement impertinent DNA de Giorgio Valentini, Trainspotter porté par l'humour noir de Jeff Newitt et Neville Astley ou encore, cela va de soi, le dernier "Cartoon d'or" en date: Quest de Tyron Montgomery et ses mondes arides successifs de sable, de caillasse, de métal et d'eau.

Destiné aux enfants la fable à la fois drôle et émouvante de Graham Ralph Les jouets abandonnés bénéficie du travail de l'acteur Bob Hoskins qui prête sa voix et son tempérament à l'un des héros. Ce road-movie de Noël, produit par la télévision britannique se présente en "format" 25 minutes particulièrement bien adapté aux tous jeunes spectateurs.

GogsGogs

Les séries
Le dynamisme de chaînes anglaises ne se dément d'ailleurs pas. D'entre les séries mises à l'honneur au festival deux étaient ainsi des programmes destinés aux petits écrans des îles britanniques. Gogs, animation de poupées en plasticine de Deinol Morris et Michael Mort est une comédie préhistorique à l'esprit slapstick mal élevé et aux tonalités scatologiques débridées, trop systématiques peut-être pour s'avérer pleinement efficaces. On retrouve ces mêmes "saveurs" dans Crapston Villas (autre travail en 3D) de Sarah Ann Kennedy, ravageuse parodie des "soap opera", qui offre une vision "affreux, sales et méchants" de la société britannique en n'en retenant que les figures névrosées, délinquantes, dépressives, vulgaires ou séniles. Même le petit chat de la maison s'avère vicieux et atteint de problèmes digestifs incurables, et les décors miniatures, -remarquables- n'omettent aucun détail sordide: trace de rouille sur les éviers, papiers peints décollés par l'humidité, désordre endémique etc. La variété des personnages et des situations donne à cette série politiquement incorrecte, une puissance comique et provocante renouvelée à chaque épisode.

Les images de synthèse
Pour des raisons de calendrier, le festival 97 ne comprenait pas, comme les précédents, de décentralisation d'Imagina. Mais même sans cela, les séances consacrées aux images de synthèse comptaient encore parmi les plus courues. Ce succès témoigne de la curiosité que l'infographie continue de susciter. A quelques exceptions près (dont Toy Story repris au festival, Krakken de Jerzy Kular, la série Insektors . . .), force est pourtant de constater que dans de nombreux cas, cette technique reste un sujet en soi et n'est donc pas assez utilisée comme un moyen d'expression complet, au service de créations personnelles spécifiques.

Cette opinion ne remet évidemment pas en cause les résultats probants obtenus grâce aux images virtuelles dans le domaine des effets spéciaux ou dans celui de la publicité. Mais il est encore permis de se poser la question suivante: au-delà du trait humoristique, la texture même des images de synthèse peut-elle engendrer une gamme d'émotion équivalente à celle produite par l'image traditionnelle et permet-elle d'aborder avec efficacité autant de registres ?

La sélection pourtant large du Festival du Dessin animé de Bruxelles n'apportait pas encore de réponse définitive à cette interrogation.

When I Grow Up I Want to Be a Tiger by An VrombautWhen I Grow Up I Want to Be a Tiger by An Vrombaut

Nota: Bien que le Festival de Bruxelles soit non compétitif, il a décerné un prix du Jury [voté par les festivaliers titulaires de la carte "passeport"] parmi les films du programme de courts métrages internationaux. Le gagnant est Noël gourmand film belge de fin d'etudes, par Corinne Kuyl de l'Ecole de la Cambre. Pour information, les films ayant obtenu le plus grand nombre de voix sont, par ordre décroissant: Quest (Allemagne, Thomas Stellmach & Tyron Montgomery), Pas de Kadeaux pour Noël (France,Georges Lacroix), Estoria do Gato e da lua (L'histoire du chat et la lune) (Portugal, Pedro Serrazina), There is More Than One Way to Kill a Cat (Royaume-Uni, David Westland), Barflies by Greg Holfeld (Australie), Capriccio (Hollande, Ellen Meske), Bride of Resistor (USA, Mark Gustafson), Bernol's Family (Belgique, Luc Otter).

André Joassin est un journaliste basé a Bruxelles. Il ecrit pour
Le Soir and Canal + .

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