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La Réunion, nouvelle terre de fabrication de dessins animés. Enjeux de la réussite.

Annick Teninge, Directrice Gale d'AWN, a assistau 3e "Carrefour" de l Indien la R conf qui traitait cette ann des enjeux du travail distance pour europ cin d Article disponible en fran et anglais.

Plaque pour l'inauguration de la "FAC Pierre Ayma"(FAC: Formation Autodidactes et Cadres). Photo de et © Annick Teninge.

Le 3ème "Carrefour de l'Image de l'Océan Indien" a eu lieu du 29 novembre au 2 décembre 1998 à l'Ile de la Réunion, département français d'outre mer situé à l'Est de Madagascar. Il était organisé par l'Institut de l'Image de l'Océan Indien, institut de formation aux métiers du cinéma d'animation, des industries graphiques et du multimédia. Cette manifestation biennale a eu lieu exceptionnellement cette année en hommage à Pierre Ayma, co-fondateur de ce projet, récemment disparu. Pierre Ayma a également collaboré au lancement à la Réunion de Pipangai, studio de fabrication de dessins animés. (NDLR: Animation World Magazine a publié un hommage à Pierre Ayma.)

Une cinquantaine de professionnels internationaux - réalisateurs, producteurs, distributeurs, enseignants et représentants d'organismes institutionnels - se sont réunis autour de la thématique suivante: "Transport en temps réel de l'image et du son pour les besoins de l'industrie et de la pédagogie à distance". Les débats ont également portés sur le financement de la production. L'enjeu est important pour l'industrie francaise et européenne. Dans un contexte où il est difficile de vendre une idée et initier une production, tout ce qui peut en faciliter le coût est intéressant. L'importance de cet enjeu était souligné par la présence à ce séminaire de Bertrand Mosca, Directeur des Programmes Jeunesse de France 3, premier financier en matière de programmes d'animation en France (47%). L'enjeu est essentiel pour l'Ile de la Réunion, confrontée à un très fort taux de chômage (40%) et à la nécéssité de rompre son isolement géographique. Forte de la volonté politique (Conseil Régional) d'être le fer de lance des nouvelles technologies, La Réunion a néanmoins conscience qu'elle doit se doter d'outils supplémentaires pour rendre ses prestations attirantes face à la concurrence asiatique.

Paysage de l'Ile. Photo de et © Annick Teninge.

Le marché francais, un environnement favorable

La France est le 3ème producteur mondial après les USA et le Japon, représentant un chiffre d'affaires d'un milliard 150 million de francs. Le coût moyen d'une série 26 x 26 minutes est de 40 millions, avec 50% de financement francais. Le constat de Christian Davin, Président du SPFA, Syndicat des Producteurs de Films d'Animation en France, est mitigé. La constance des commandes des chaines de TV et l'export, même s'il s'agit plus d'un succès culturel que financier, sont des éléments positifs, de même que la durée d'expoitation d'une série (20 à 30 ans); c'est un patrimoine durable. La production s'est également beaucoup développée avec l'arrivée des chaines thématiques. L'offre a suivi, mais les prix sont fragmentés. Le montage de dossiers de production est plus difficile. La France maintient son niveau grâce aux quotas, mais il va falloir produire moins et mieux. Au début, on était producteur si on produisait/fabriquait. Il n'y avait pas de stocks et une demande très forte. Puis le marché s'est régulé et la restriction des budgets a eu pour conséquence l'apparition de prestataires de service dans la pré et post-production (compositing, colorisation, etc). 1993 marque l'apparition des nouvelles technologies, avec, à l'époque, un coût tres élevé -- de 300 a 500.000 francs par poste de travail -- Les prix ont heureusement fortement chuté. Il semble qu'il y ait intérêt aujourd'hui à developper en France les tâches à forte valeur ajoutée, car les pays asiatiques sont très compétents dans les métiers de l'animation, ils ont une longue expérience dans ce domaine, maîtrisent les nouvelles technologies et, phénomène nouveau, rentrent dans des co-production en contribuant à leur financement. Des méchanismes financiers propres Au sein de l'Europe, la France a la particularité de bénéficier du soutien financier du CNC, le Centre National de la Cinématographie. La 2eme section du compte de soutien du CNC réservée à l'audiovisuel a été créée en 1984 avec la mise en place d'une taxe sur la télévision dont le montant est de 5,5% du chiffre d'affaires des diffuseurs (hertziens, cable et satellites) et alimente les aides cinéma et audiovisuelles. Le fonds de soutien, système d'aide sélective aux producteurs d'oeuvres audiovisuelles a été créé en 1986. Grâce à ce fonds de soutien, une production francaise peut bénéficier d'un financement par le CNC de 20 à 30% des dépenses de production réalisées en France. Un bonus est appliqué si 100% des dépenses sont réalisées en France. (Ce système a récemment été attaqué par la Commission Européenne, car il est contraire au traité de Rome; un nouveau décret sera prochainement en application, ramenant le bonus à 80%).

Il semble qu'une des faiblesses en France réside dans la quasi absence de distributeurs dans le financement de la production. Sauf quelques exceptions (Europe Images, Hachette), on note l'absence de la prise de risque des distributeurs. On co-produit trop, et des choix sont faits dans la production (pour réduire les coûts) au détriment de la qualité artistique. Certaines sociétés européennes ont choisi la centralisation. Neurones par exemple a implanté des unités de production à différents endroits afin de cumuler les moyens de financement, et a créé un département distribution; ce positionnement en tant que co-producteur/distributeur a permis la pérennité de l'entreprise: s'il y a un baisse d'activité au niveau du prestataire (producteur), la rentabilité des droits (distributeur) continue. Pipangai, une réponse à la délocalisation Le projet, initié lors d'une table ronde à l'Ile de la Réunion en 1993, a bénéficié du soutien de la profession et d'une volonté politique de doper la production francaise. Aujourd'hui, ce studio de fabrication de dessins animés emploie 200 personnes dont 70 en CDI. Il est équipé de 100 ordinateurs, dont 80 Silicon Graphics. La capacité de production est de 10 épisodes par mois; la production se situe actuellement aux environs de 8 épisodes par mois. Une série est facturée de 150 à 250.000 francs par épisode pour un format 26 x 26', selon le nombre de personnages, la difficulté de l'animation, les décors, etc. Parmi les dernières séries produites figurent Inspecteur Mouse et Pim I et II pour PMMP; Princesse Sissi (scan et gouachage seulement) pour Saban/ToutenKartoon, et Manara pour Rooster Studio.

Travail de gouachage pour "Geleuil et Lebon" (PMMP) au studio Pipangai. Photo de et © Annick Teninge.

Le montant total des programmes fabriqués à la Réunion (gouachage) représente 15% du volume global d'activité francaise. Pour pérénniser les emplois de Pipangai, il faut augmenter le volume de travail. Ceci passe par la dotation d'un ou deux outils financiers à caractère fiscal, et par le developpement des formations et des nouvelles technologies -- passer des tâches d'exécution à des prestations plus valorisantes pour fixer l'activité dans l'Ile. Un produit viable? L'Ile de la Réunion benéficie d'un certain nombre d'aides au développement industriel, dont l'exonération totale des charges patronales pour tâches à faible valeur ajoutée (colorisation); une aide à l'investissement avec la défiscalisation pour investissements dans des locaux et acquisition de matériel; l'exonération de la taxe professionnelle en cas d'installation dans une zone urbaine. Cependant, malgré ces mesures, la Réunion reste plus chère que la Corée. Un dispositif d'aide à l'exportation peut-il être adapté à la fabrication du dessin animé? Le système des SOFICA (placement financier avec incitation fiscale) fonctionne relativement bien; la rémunération existe déjà en terme fiscal, le risque financier (retour sur investissement) est donc faible. Il faudrait peut-être élargir au cinéma les aides à l'exportation qui existent déjà au niveau d'autres secteurs de l'économie (maritime), ou prévoir un amendement à la loi Pons pour une défiscalisation Outre Mer. Il resterait à définir quels seraient les critères de l'extention de cette loi; devrait-elle porter sur les aspects immatériels tels que l'originalité de l'oeuvre; les droits patrimoniaux? La balle est dans le camp des politiques... Les enjeux technologiques du travail à distance Au niveau des transferts de fichiers, il semble que la vraie avancée se situera au niveau du coût de l'image finale, permettant ainsi de travailler en temps réel après le compositing. La technologie existe, mais les prestations ne sont pas concurrentielles. France Telecom, 4ème opérateur mondial offre depuis plusieurs années le produit Numéris, qui permet la diffusion à haut débit, la liaison directe d'un point à un autre et l'accès Internet. Le coût reste élevé, peut-être parce que le marché n'est pas encore suffisamment important. Un projet pilote de réseau inter-entreprises à haut débit s'est récemment monté à Paris (projet qui réunit des prestataires techniques et de production), avec une diffusion entre 2 et 10 megabits. C'est plus performant que Numéris (dont l'accès de base propose des canaux à 64 Kbits), mais ne permet pas la diffusion d'une image définitive de qualité. Cela situe "l'état du marché" aujourd'hui.

Au cours du séminaire, Softimage France et Fantôme ont réalisé une démonstration des possibilités de gestion de production à distance d'une série animée en 2D ou en 3D, avec l'appui technique de France Télécom, de Pixel Systems et de l'Institut de l'Image. Deux liaisons ont été établies simultanément entre La Réunion et le Studio France Télécom à Paris, sur une distance d'environ 10 000 km: une liaison en visio-conférence, permettant aux deux équipes de voir et dialoguer en direct, et une liaison ISDN pour le transfert de données. Les participants du Forum ont pu assister: - à une présentation des possibilités d'intégration 2D/3D entre les logiciels Toonz et Softimage|3D. Cette présentation, effectuée par le démonstrateur Softimage sur le PC à Paris, était projetée en temps réel dans la salle de l'Institut de l'Image; - à la simulation d'une séance de travail entre un réalisateur, localisé à Paris, et le studio de fabrication, localisé à La Réunion, sur une séquence en images de synthèse 3D, en l'occurence un extrait de la Série Les Girafes co-produite par Fantôme. Partage de bases de données, transferts de fichiers, validation d'animations et de texturage ont pu être effectués en temps réel sur un mode interactif.

Dejeuner au Parc de l'Oasis (Ecole d'Arts). Avec notamment, au premier plan, de gauche à droite: Jean-Marc Moisi, CNC; Philippe Mounier, PMMP; Claude Schiffmann, CNC. Photo de et © Annick Teninge.

Fabrication 2D, des logiques différentes

L'exemple de deux sociétés européennes de production de séries pour la télévision, PMMP (France) et Neurones (France/Belgique). PMMP produit 52 demi-heures par an (2 séries 26 x 26'), pour un coût de 38 millions de francs par série de 26 episodes. L'animation est réalisée en Asie (Corée, Chine, Japon). La colorisation, le compositing et les décors sur palette sont réalisés à 100% à Pipangai. PMMP travaille avec Pipangai depuis 1995. Pour PMMP, Pipangai est légèrement plus cher par rapport à l'Asie, mais permet d'effectuer un meilleur contrôle sur la qualité. De plus, il n'y a pas de problème de langue, ni de décalage horaire (3 heures avec Paris). Transfert de fichiers: PMMP procède à un transfert physique des fichiers. Les recherches de décors et personnages sont envoyés de Paris vers la Réunion sur disquette ZIP (ou via Internet quand c'est urgent). Les retakes sont directement envoyés sur cassette Beta digital. Pour PMMP, l'enjeu de la transmission finale n'est pas encore d'actualité. Pour le transport de données, le meilleur rapport qualité-prix reste le Boeing 747! Neurones est co-producteur et apporte au plan de financement une partie de ses prestations (entre 10 et 30%). Neurones a actuellement une capacité de production de 4 séries par an, et a produit et co-produit plus de 100 demi-heures en 1998. Les studios Neurones ont notamment collaboré à la fabrication de Frankin 2 (26 x 13') avec Nelvana, et Air Académy (26 x 26') avec Antefilms, M6 et Cinar. Pour toutes ses productions, Neurones prend en charge la fabrication de l'animation dans son studio coréen à Séoul. Suivant les productions, les lay out, la colorisation, le compositing les décors sont confiés aux studios européens de Neurones (France, Luxembourg et Belgique). Le coût de fabrication commence à 150,000 US$ (environ 800.000 francs) par épisode pour la prise en charge des lay out jusqu'au rushes Beta Digital Pal. Transfert des fichiers: Le groupe Neurones a developpé son propre logiciel de transfert par le Web des line-tests entre Séoul et ses autres studios de production. Neurone utilise des lignes dédiées uniquement pour cela, afin de sécuriser à 100% les transferts. Neurones n'utilise cependant pas ce type de transfert pour l'animation mise en couleur entre Seoul et l'Europe, les coûts restant très élevés. Pour les retakes, le réalisateur vérifie les line-test soit sur support VHS soit directement par le Web, et transmet sa liste de demandes de retakes. Quelques heures plus tard, Séoul renvoie les corrections prêtes à être mises en couleur. Pour Neurones non plus, la transmission en temps réel n'apparait pas indispensable, pour peu que le temps differé ne soit pas trop long. Quand Séoul envoie des dessins en fin de journée, celle-ci correspond au début de la journée en Europe, il n'y a pas de perte de temps. Une transmission en temps réel nécessiterait d'avoir une équipe de nuit en Europe. Peut-être que cela sera plus utile pour l'animation 3D répartie entre des studios travaillant dans les mêmes fuseaux horaires.

Un véritable enjeu?

Le transfert des fichiers en temps réel est une avancée technologique indéniable; il doit pouvoir faciliter le dialogue entre techniciens et artistes et améliorer le contrôle de la production au quotidien. Confusément, cela ne semble pourtant pas encore être un enjeu essentiel. Les raisons sont sans doute à la fois structurelles et financières. En raison de l'éclatement de la chaîne de production, les producteurs doivent déjà faire face à une augmentation du besoin de supervision. Toute avancée technologique implique des changements structurels supplémentaires, auxquels il faut se préparer. D'autre part, l'impact du transfert en temps réel est difficile à mesurer en termes de coût de production et ne semble pas être aussi déterminant que des méchanismes financiers et/ou avantages fiscaux. La formation à distance L'autre volet abordé au cours de ce séminaire était celui de la formation à distance, avec une tentative d'évaluation des outils existants et la présentation d'expériences déja menées. La formation à distance personnalisée (versus formation de masse) semble être prometteuse. Elle offre une grande diversité de scénario, une interaction modulable et une mutualisation des connaissances des participants. Dans cet esprit, deux ateliers numériques d'autoformation aux logiciels de l'image ont été développés par l'école des Métiers de l'Image-Centre Gobelins (Paris): un atelier Photographie/Autoformation au Traitement Numérique des Images, et un atelier Multimedia d'Autoformation au Langage Lingo de Director. La formation se déroule en 3 phases: un stage intensif d'introduction, une phase de travail individuel et une phase de bouclage avec réalisation d'un CD-Rom portofolio. Ce type de formation permet de bénéficier de l'accompagnement d'un formateur-expert, d'avoir accès à des ressources/technologies de pointe et de réaliser un projet, résultat tangible de l'expertise acquise. Un aspect important est la validation de ce type de formation par les professionnels. Il est essentiel de travailler en synergie avec l'industrie pour que les formateurs connaissent les dernières versions/mises à jour de logiciels par exemple. Des sociétés comme Softimage ont fait part de leur volonté de travailler en partenariat avec les écoles. SupInfoCom (Valenciennes) travaille déjà sur des formations spécifiques (coloriste) avec des sociétés de production (l'Usine A Images). L'AFDAS vient de signer un accord avec les organisations régionales pour reconnaître la démarche de filière à l'Ile de la Réunion. D'une manière générale, le CNC aide des stages de formation continue soit en entreprise, soit directement les organismes de formation dans la mesure où les demandes correspondent aux besoins de la profession (essentiellement stages d'utilisation de l'informatique pour le dessin animé). Si les moyens pédagogiques définis passent par la formation à distance, le CNC soutiendra également ce type de formation. Mediadesk France, qui consacre environ 15% de son budget de 300 millions d'Euro à la formation, soutient dix actions de formation aux nouvelles technologies. La formation à distance peut être considérée dans ses programmes. Les expériences de mise en réseau menées à ce jour ont montré une mise en pratique relativement compliquée, qui circonscrit la formation à des domaines très précis. La technique va certainement gommer cela dans les années à venir. En attendant, des initiatives originales voient le jour, et sont à suivre... Une initiative originale de travail coopératif en réseau Un projet de travail coopératif en réseau a été signé lors du séminaire pour une opération de collaboration entre l'école des Beaux-Arts de La Réunion et l'école d'Architecture de Marseille (France), dans le cadre d'une formation post-diplôme qui accueille des étudiants issus de filières école d'art et d'architecture s'associant sur des projets de conception/réalisation de produits multimédia (CD-ROM, Site Web ou borne interactive). Le thème central de ce projet de collaboration La Réunion/Marseille sera la ville portuaire, avec différentes évocations liées à sa fondation, sa construction, son évolution et son devenir. La ville du Port (La Réunion) et la ville de Marseille (France) sont toutes deux confrontées aujourd'hui à une nécessaire transformation urbaine qui ne doit toutefois pas nier son passé. C'est un regard parallèle sur ces deux villes que porteront les étudiants marseillais et réunionnais, en s'appuyant sur le réseau Internet et les techniques multimédia disponibles aujourd'hui pour donner à voir et raconter l'histoire passionnante de leurs cités respectives. Pour toute information sur ce projet, vous pouvez consulter l'adresse URL suivante : http://www.gamsau.archi.fr/DPéA/

Projet de conception /réalisation d'une borme interactive pour le quai du Port - Marseille, Stéphane Lasserre, promotion 96/97

Annick Teninge est Directrice Générale d'Animation World Network.